Coincidence ? [Privé Nestrias]

C'était une belle matinée d'automne. Un soleil timide nimbait la ville d'une lumière dorée, en parfaite harmonie avec les chaudes colorations qu'arboraient la végétation. L'air était frais et vivifiant. De parfaites conditions pour partir en mission, c'était ce que je me répétais, heureuse d'avoir mis la main sur ce dossier d'affaire de meurtre.
Car oui, c'était bien dans le but d'attraper un assassin que j'arpentais de bon matin les rues du quartier nord de la ville, Sauvage dans mon dos et les sens en alerte. Je sautillais avec entrain, réfléchissant aux informations dont je disposais pour dénicher le criminel. Autant dire pas grand chose. Je connaissais le lieu et la date du meurtre, c'était tout. Le reste, il me faudrait le découvrir par moi-même et là était tout le charme de cette mission.
Le crime était encore tout frais. Il avait été signalé à la Guilde quelques heures auparavant, découvert par une patrouille de soldat alors que le sang de la victime était encore chaud.
Je laissai de côté mes réflexions un instant pour me concentrer sur mon environnement et la direction que j'avais à prendre. Je me trouvais sur une petite place, déserte et insalubre, comme l'étaient la plupart des places des Quartiers Nord. Je reconnu l'enseigne d'une pauvre taverne : je n'étais plus très loin de ma destination. Alors que je m'apprêtais à reprendre ma route, d'un pas d'autant plus jovial, le son d'un pas s'enfonçant dans la boue qui couvrait le sol attira mon attention. Le bruit provenait d'une rue à ma droite, et même si je devais emprunter le passage qui se trouvait en face de moi pour rejoindre les lieux du crime sur lequel je devais enquêter, une force inexplicable me poussa à aller voir ce qu'il se passait de l'autre côté. Aussi, je ne fus pas déçue lorsque je reconnu l'étrange inconnu que j'avais rencontré quelques semaines plus tôt dans ces mêmes Quartiers Nord :

- Tiens donc ! Bonjour, Nestrias ! Quelle coïncidence !

Son nom avais ressurgit dans ma mémoire avec un naturel qui m'étonna moi-même. J'étais loin d'avoir une mémoire des noms, en tout cas pas pour les simples passants à qui j'avais adressé la parole une seule fois, par hasard. Je me souvins aussi soudainement des drôles de pressentiments qui m'avaient envahi lors de ma première confrontation avec ce jeune homme au visage inconnu. De toute évidence, il avait alerté mon instinct plus que ce que je ne songeais.

Un petit soleil automnal pointait le bout de ses rayons sur la ville, y répandant une douce chaleur à travers l'air froid qui s'était installé dans la nuit. J'étais fatigué, j'avais travaillé toute la nuit et, d'après ce que j'avais entendu, un des cadavres avait déjà été retrouvé. Je venais d'achever ma dernière cible.Aucun doute, cette nuit avait été une des plus fructueuses depuis longtemps. Je nettoya soigneusement la scène de crime, jetant de rapides coups d’œil autour de moi,  et cacha le cadavre derrière des caisses avant de partir. Mais à peine eu-je fait quelques mètres que je fit un léger pas en arrière, surpris par la personne qui se dressait face à moi.C'était la capitaine Ariemm et cette fois, je la reconnu immédiatement et de toute évidence, elle aussi me reconnu car à peine elle me vit qu'elle m'interpella :

- Tiens donc ! Bonjour, Nestrias ! Quelle coïncidence !

Comme la fois où je l'avais rencontré, elle était armée jusqu'aux dents. je devinais très clairement le motif de sa présence, mais une chose m'intriguais, pourquoi était-elle dans cette ruelle ?

-Oh, capitaine Ariemm, quelle heureuse surprise de vous revoir ici! Vous semblez en pleine forme.
Vous avez entendu parlé du meurtre qui a eu lieu cette nuit ? C'est horrible vous ne trouvez pas ?

J'esquissa un léger sourire, tout en replaçant ma capuche correctement, celle ci étant légèrement descendu, laissant apparaître un peu plus clairement mon visage.

Le jeune homme que j'avais rencontré par un coup du destin se retourna vers moi, et j'eus le temps d'apercevoir un sourire sous la capuche qui dissimulait son visage, juste avant qu'il ne la réajuste. Depuis la dernière fois, il ne s'était pas départit de son naturel troublant, et c'est sur le ton de la banalité qu'il me répondit :

- Oh, Capitaine Ariemm, quelle heureuse surprise de vous revoir ici ! Vous semblez en pleine forme.
Vous avez entendu parlé du meurtre qui a eu lieu cette nuit ? C'est horrible vous ne trouvez pas ?

Je lui souris à mon tour, amusée par sa désinvolture. Malgré son air inofenssif, j'éprouvais toujours une sorte de méfiance à son égard. Méfiance qui se précisait, alors que je le retrouvais ici, en pleine enquête sur un meurtre. Le hasard faisait parfois des choses surprenantes, mais le croiser non loin des lieux du crime, dans une rue déserte, ne laissait pas mon intuition indifférente. De plus, il semblait particulièrement bien informé sur l'affaire. Le meurtre avait eut lieux il y avait seulement quelques heures et ce "civil" était déjà au courant du "drame".
Il m'était déjà arrivé de menacer des suspects pour moins que cela, et j'aurais tout aussi bien pu demander à Nestrias de me suivre à la Guilde pour un interrogatoire, ou le faire placer sous surveillance. Néanmoins, je n'avais aucune intention de faire cela. Parce qu'il m'intriguais. Parce que dans le fond, il me plaisait bien, ce drôle de jeune homme. J'avais la sensation de retrouver chez lui une part de moi. Peut-être parce qu'il avait à peu près mon âge. Peut-être parce que, mon instinct me soufflait qu'il savait "tricher".
La "triche", comme j'appelais le faite de tuer, était opposée aux valeurs de Sêlin lorsque d'autres "tricheurs" que moi l'exerçait. D'ailleurs, je ne considérais pas vraiment les mercenaires et autres assassins comme de véritables "tricheurs". Ils n'étaient pour moi que des hors-la-loi, ennemis de la paix d'Orchedin, et je les avaient toujours éliminés pour défendre cette bonne cause. Impossible de mettre en doute mes belles motivations, n'était-il pas ? C'était là toute la différence entre eux et moi : je "trichais" pour le bien, tandis qu'ils étaient le mal dont on m'avait chargé de protéger la cité.
Pourtant, j'étais incapable de considérer Nestrias comme le mal, alors qu'il était de manière évidente pour moi un hors-la-loi. Il avait attiré ma sympathie, et je le voyais plutôt comme un autre "tricheur".
Comme si de rien n'était, je répondis d'un air tout aussi banal :

- Oui, évidement ! C'est même pour cela que je suis ici. Tu es bien informé, dis-moi ! Le crime a eut lieux il y a très peu de temps. Fis-je en le scrutant d'un regard malicieux, un zeste suspicieux. Je poursuivis dans un petit rire accompagné d'un haussement d'épaule indifférent : Si tu veux mon avis, il n'y a rien ou si peu qui mérite que l'on dramatise. Un mort est un mort, voilà tout.

Cacher ma façon de penser n'étaient pas dans mes habitudes. Lorsqu'aucune amitié n'était menacée par la vérité sur ma nature, je ne prenais pas la peine de faire semblant de trouver grave ce que je trouvais amusant. De plus, j'étais curieuse de voir comment réagirait un autre "tricheur". Sans doute continuerait-il à jouer sa couverture, mais j'avais bien l'intention d'avoir les preuves tangibles qui vérifieraient ce que soufflait mon instinct.