Histoire
Un jour comme les autres, un homme marche sur une route sous le soleil, le visage impassible. Une belle caravane avec un compartiment arrière recouvert de toile blanche s’arrête alors près de lui et lui demande des détails sur sa destination avant de l’embarquer.
Je monte rapidement dans la caravane et donne un petit coup au fond pour indiquer au conducteur, sûrement un marchand, qu’il peut reprendre sa route. Je m’assoie alors en saluant mes compères voyageurs et entreprend d’examiner leurs visages. Une femme plutôt jolie et sa petite fille, un vieil homme assoupi, un mercenaire, sans doute engagé par le conducteur pour assurer la sécurité du convoi, mais peu importe… le seul visage qui m’intéresse est celui qui me fait face. Un type d’une trentaine d’années, maigre pratiquement décharné, d’une pâleur maladive, et le regard fuyant, je discerne même quelques cheveux blancs sur sa tête. Tout ce passe comme prévu jusque-là. Il a l’air nerveux, certainement pour ça qu’il engage la conversation.
- Holà l’ami, pas vraiment une journée à tenter un marathon hein ! Ou est-ce que vous allez ?
Il essaye de faire de l’humour mais le ton n’y est pas, jouons le jeu pour l’instant.
- Je me dirige vers Orchedin, j’espère y trouver du travail, je viens de loin, si je ne trouve rien je proposerais certainement mes services en tant que mercenaire.
- Ah ? Vous n’avez pourtant pas l’air bien costaud, je peux vous demander votre nom ? Le mien est John Parish.
- Vraiment ? ça ne les a pas empêché de m’enrôler de force pour prendre parti dans une guerre sans intérêt et qui ne me concernait pas. Je me nomme Azdhar soit dit en passant.
Je vois bien qu’au moment où je lui parle de la guerre il commence à se méfier.
- Azdhar … Azdhar comment ?
- Juste Azdhar.
- Si on parle bien de la même guerre, c’est impossible que vous soyez ici sans avoir déserté, elle vient tout juste de prendre fin.
- Bien sûr que j’ai déserté, je ne me battrais jamais pour une cause qui ne m’inspire pas.
- Et vous avez laissé tous vos amis derrière-vous ?
- Ma relation avec ceux que j’ai abandonné n’était en rien de l’amitié, nous partagions seulement le même côté du champ de bataille.
Soudain, la caravane fait une embardée. J’entends le conducteur crier un nom et le mercenaire fonce dehors et dégaine son épée. Probablement des bandits. Ce n’était pas prévu. C’est intolérable. Je risque un coup d’oeil, le mercenaire a réussi à en avoir un, mais il en reste trois. Qui se dirigent résolument vers nous. Je dégaine un de mes poignards et perce un trou dans la toile derrière moi par lequel je me faufile, suivit immédiatement par Parish. La première chose que je vois en sortant, c’est le dos d’un des bandits qui semble de rien avoir remarqué, pas très futé et pas très concentré non plus, probablement un peu sourd également, enfin plus pour longtemps, il se vide déjà de son sang.
Le second bandit se tient devant l’entrée de la caravane et me fait face menaçant, il ne semble pas vraiment savoir tenir son épée. Désespérant. Je m’élance vers lui tout en cherchant mon nouvel ami John du coin de l’œil, je l’aperçois quelques mètres derrière moi, il n’a pas l’air de vouloir fuir, c’est rassurant. J’abats distraitement ma lame sur la jugulaire de mon adversaire quand j’entends le cri de la petite fille à l’intérieur de la caravane. J’entre et constate l’ampleur du massacre, aucun survivant. Pas même la femme. Quel gâchis. Je porte ma main à ma ceinture et envoie un couteau voler tout droit entre les deux yeux du dernier saligaud, le ramasse, l’essuie, et ressors.
Je me tourne vers Parish et m’avance vers lui. Il est blême.
- Le conducteur est mort…
- Je n’ai pas eu l’opportunité de compléter mon histoire.
- Ce n’est vraiment pas le moment de …
- C’est tout à fait le moment. Je n’ai laissé aucun ami derrière moi, mais d’autres ont perdu des camarades, des camarades qui n’ont pas toujours été tué par le camp adverse. L’un d’eux, particulièrement, a été tué par un déserteur du nom de John Parish.
Je ne pensais pas qu’un homme vivant pouvait devenir aussi livide.
- Quel que soit le montant qu’on vous paye, je vous en donnerais plus !
Sa voix est brisée par la peur et la culpabilité.
- Vraiment ? Jamais entendu parler de l’honneur des voleurs ?
- Non…
- Moi non plus. Combien êtes-vous prêt à offrir ? Et cessez de geindre ça m’exaspère.
Il se ressaisit un peu et sort une bourse d’une des poches intérieure de sa veste et me la tend le regard plein de gratitude. J’entends les pièces s’entrechoquer. Pourquoi il a autant d’argent sur lui alors que sa veste est rapiécée ? Peu importe.
Il veut me remercier de l’avoir épargné je crois, mais je n’entends que le gargouillis macabre qui s’échappe de sa gorge ouverte.
Pas très glorieux comme journée, mais agréablement lucratif. Je sors les cadavres qui sont restés à l’intérieur et entreprend de continuer ma route, quelle plaie qu’ils aient tué le conducteur…
Un jour comme les autres en milieu d’après-midi un homme arrive seul à Orchedin aux commandes d’une caravane qu’il abandonnera à l’entrée de la ville sans demander son reste.