Flocons de sang [Privé Lenn/Elyu]

Enfant, j'avais toujours aimé la neige, ces milliards de flocons qui faisait d'Orchedin une ville féerique. En grandissant, j'avais appris à marcher à côté de cette étendue blanche pour ne pas tremper mes bottes, je gardais sagement mes mains dans les larges et chaudes poches de ma cape. Mon écharpe fidèlement autour de mon cou, remontée sur le nez rougi par le froid, j'étais sorti aujourd'hui pour une petite vérification. Un enquête que j'avais jugé sans risque pour la mener en solitaire.

En effet, un malheureux drame était arrivé au fin fond des quartiers Nord, un lieu où même un meurtre avait failli passer inaperçu. Mais un de mes Soldat qui habitait dans la zone m'avait immédiatement rapporté cet événement. La nuit dernière, un homme avait été sauvagement attaqué par un individu, manifestement. L'homme était mort sous le coup. L'agresseur, aimable en son genre, avait pris le temps de l'alléger de ses quelques bourses.

Aujourd'hui, j'étais en chasse d'indices et de témoins. Le quartier Nord était fourbe, prêt à passer sous silence un vol ou autre en échange de quelques sous. Il n'était pas évident de trouver des alliés.

Je m'approchais donc du lieu. Une ruelle étroite, mal éclairée et mal pavée. Je découvris sans surprise que la neige avait recouvert les marches où avait sombré cet homme. Comme si elle effaçait ce souvenir de cette ruelle, comme un nouveau départ. Fermant les yeux, j'imaginais clairement la scène dans mon esprit. Un homme marchant fébrilement une nuit de décembre, prêt à rejoindre sa petite famille après une journée de travail probablement acharnée vu ses vêtements pauvres. Un homme qui sort de l'ombre, qui ne réfléchit pas longtemps et lui éclate le crâne contre le mur. Il fait vite, il n'y a pas de temps à perdre. Toujours une oreille, un fouineur qui traîne. Il allonge l'homme sans douceur, lui fait les poches. Puis il rentre chez lui.

Lui pouvait encore rentrer à sa maison. Cet homme, sa famille l'attendra dorénavant tout les soirs, toutes la vie. Furieux, je serrais les poings dans mes poches. Alors, je sentis une présence derrière moi, un pas étouffé sur la fine couche de neige. Je passais une main dans mes cheveux pour y déloger les flocons, ne bougeant pas.

Dans ma tête, les hypothèse étaient nombreuse. Un simple habitant du quartier Nord? Un proche de la victime? Une personne impliquée dans ce meurtre?

- Capitaine Lenn ?... Bonjour.

Ma tension retomba d'un coup, j'avais reconnu cette voix immédiatement bien que peu familière. Une personne que l'on oubliait jamais après sa première rencontre: Elyu, la Lieutenante d'Ariemm. Qu'est-ce qu'elle faisait ici? Avelann avait-elle été mis au courant de cette enquête? Probablement pas, la nouvelle était récente, mais elle l’apprendrait dans peu de temps. A Orchedin, les rumeurs courraient aussi vite... que ces foutus flocons me trempaient les cheveux! D'un geste rageur, je les secouais de plus belle d'une main gercée par le froid. Comprenant enfin que je finirai par me montrer grossier, je me retournais alors et dévisageai Elyu, un sourire poli aux lèvres.

- Bonjour Elyu.
 
Elle n'avait pas changé depuis la dernière visite de "courtoisie" d'Ariemm. je souris légèrement à ce souvenir, sur ce coup-là, elle avait vraiment fait fort. J'aurais tout donné pour les voir travailler ensemble, ces deux-là.

Plus sérieusement, je me demandais ce qu'elle faisait ici. Elle n'avait pas l'air spécialement sur ses gardes, j'en déduisis qu'elle n'était pas en mission ou en patrouille solitaire. Peut-être une simple ballade, aussi simple que cela. Bien qu'en premier déçu que ça ne fasse pas avancer mon enquête, j'eu curieusement envie d'en apprendre un peu plus sur elle. D'une façon ou d'une autre, elle m'intriguait.

- Une ballade sous la neige vous a tenté, je parie.

Elle avait l'air d’apprécier ce temps mais elle avait probablement remarqué que je n'étais pas du même avis. Même si je préférais de loin la froideur de l'hiver à la chaleur de l'été.

-En effet, j'avais un jour de repos et...voilà, me répondit-elle

Comme moi, elle n'était pas très bavarde. En tout cas, j'avais juste, elle n'était pas ici pour la même raison que moi. D'une certaine façon, cette idée me rassura. Avelann et Nacastal coopéraient rarement et je préférais avoir une longueur d'avance. Cette pensée me focalisa de nouveau sur mon enquête et je me remis à réfléchir à toute vitesse. La victime n'avait pas beaucoup d'ennemi mais il semblerait qu'un témoin l’aurait vu et entendu avoir un différent avec une autre personne dans un des bars du quartier Nord. C'était là que je devais chercher.

Mais je ne pouvais pas lui fausser compagnie si rudement. Alors que j'allais lui demander ce qui l'attirait tant dans les quartiers Nord, elle poursuivit:

- Et il n'y avait rien à faire à la Guilde. Je m'ennuyais un peu, à vrai dire. Il ne se passe pas grand-chose, en ce moment...

Cette remarque manqua de me faire rire, elle parlait comme si elle était déçue. Pour ma part, quand l'activité criminelle baissait à Orchedin, je le prenais comme le fruit d'un travail acharné de mes Soldats. Mais sans doute avait-elle besoin d'action et je la comprenais. J'en connaissais une qui ne manquerait pas de lui refiler tout le travail administratif si elle apprenait que sa Lieutenante s'ennuyait.

Je la détaillai plus attentivement, Elyu était une femme vraiment étonnante et de mon côté, je haïssais tout ce qui s'approchait de peu ou de loin du terme "banalité". Je me demandais ce que je pouvais lui répondre.  

- Vous avez raison, les jours de repos sont trop peu nombreux pour les négliger.

Moi aussi, j'avais besoin de m'éloigner parfois de la pression des missions, de l'ambiance pesante de la Guilde en période de crise. On ne se rendait pas forcément compte mais c'était le Capitaine qui devait maintenir le moral de ses troupes. Constant sur ses gardes, il devait voir avant les autres ce qui n'allait pas chez l'un ou l'autre et résoudre ce problème. Aussi, je prenais l'air, je rendais visite à mes amis. Pour moi, les jours de repos était une grande inspiration entre deux courses. Indispensables.

- Je ne me suis pas rendu dans le quartier Sud depuis déjà quelques semaines, il parait qu'il y fait extrêmement froid. Vous tenez le coup?

Depuis toujours, le quartier Sud a toujours été le plus froid. En hiver, il semblait presque se cristalliser.    

Je détournais le regard, elle allait finir par croire que son nez était tombé si je continuais à la fixer aussi grossièrement.  

-C'est vrai qu'il y fait plus frais que d'autres années... Mais personnellement, le froid ne me gêne pas du tout. Et vous, tout se passe bien à Nacastal ?

C'était vrai qu'elle n'avait pas l'air de souffrir de l'hiver et encore une fois, je lui trouvais un point commun. J'aimais ce froid qui nous stimulait les muscles, qui nous rafraîchissait les idées. En revanche, la neige n'était pas une partie de plaisir, loin de là. Il y avait à peine une semaine que Nacastal s'était mobilisé pour réparer le toit abîmé par les chutes de neige. Bien sûr, on m'avait encouragé pour que je monte aussi. Je n'avais particulièrement pas adoré cette séance de haute-voltige sur un toit givré et glissant.

A nouveau, je sentais mes cheveux se coller sur mon crâne. Ne voulant pas avoir l'air d'un idiot en m'ébrouant tel un âne, je restais sagement figé, laissant la neige fondre sur mon front et couler sur mes joues comme des larmes.

- Tout se passe bien. Malgré quelques dégâts causés par la tempête de neige, étant donné que nous sommes plutôt exposé. Mais nous ne croulons pas non plus sous le travail.

Entre le toit et le réfectoire inutilisable pendant cinq jours, Nacastal avait eu sa dose. Surtout financièrement.

- Il faut croire que les bandits hibernent.

Je sentais dans son ton une profonde curiosité. Aussi, je décidais de lui dévoiler la raison de ma venue.

- A vrai dire, je suis ici en mission.

je décidais aussi de ne pas en dire plus.

Trop curieuse, elle poursuivit d'un ton innocent:

- Une mission ? Quelque chose de grave ?

Dans mes poches, je bougeai mes mains pour réveiller mes doigts endoloris. Puis j'éludai sa question. De toute évidence, elle souhaitait connaitre la nature de la mission. Mais je n'en savais que trop peu encore pour en confier à une personne qui n'était même pas de ma Guilde. le mieux était donc de changer de sujet, je savais qu'elle comprendrait.  

- Je suis justement en train d'enquêter...

J'aurais pu la rassurer car, pour moi, cette attaque n'était pas le début d'une série de meurtre. Il me faisait bien plus penser à un règlement de compte, courant au quartier nord même si, en temps normal, ils se limitaient à quelques intimidations.

Soudain, je me souvenais qu'on m'attendait pour une réunion importante. Je m'en voulais, je n'avais pas beaucoup avancé.

- Je vais devoir vous quitter, dis-je d'un air désolé, faites quand même attention, même pour un Soldat, ce lieu reste dangereux.

Le quartier Nord, en particulier, avait développé une certaine haine contre les Guildes et les Soldats, surtout seuls, étaient des proies de choix.

Je quittais la chaleur de ma poche pour lui faire un léger signe d'adieu puis tourna des talons, lançant un dernier regard discret à la scène de crime.

HRP: